Des agriculteurs dans leur champ dans le territoire de Lubero en Novembre 2022. © Elise Sawasawa pour Kilimo TV
Les Objectifs de développement durable, établis par les Nations Unies à la fin des années 1990, lient chaque objectif à des cibles à atteindre d’ici 2030 pour éradiquer la pauvreté, protéger la planète et assurer la prospérité pour tous et constituent l’Agenda 2030.
Le deuxième objectif est d’éliminer la faim et la malnutrition en garantissant l’accès à une alimentation saine, nutritive et suffisante pour tous. Elle appelle à la mise en place de systèmes de production alimentaire et de pratiques agricoles durables et résilients.
S’alignant sur cette même lancée des objectifs de développement durable, la République Démocratique du Congo s’est dotée d’un agenda qui vise à assurer la viabilité des systèmes de production alimentaire et la mise en place des pratiques agricoles résilientes qui permettent d’accroître la productivité et la production, contribuent à la préservation des écosystèmes, renforcent les capacités d’adaptation aux changements climatiques, aux phénomènes météorologiques extrêmes, à la sécheresse, aux inondations et à d’autres catastrophes et améliorent progressivement la qualité des terres et des sols.
Symboles d’une agriculture industrielle destructrice, l’utilisation des pesticides, des produits fertilisants par de nombreux agriculteurs encore aujourd’hui, constitue un danger pour la terre, l’eau, l’air, les pollinisateurs et nuit gravement à notre santé, comme l’ont révélé unanimement plusieurs études des experts de la santé.
Ainsi, souhaitant rompre avec les traditions agricoles d’un autre temps, les professionnels du secteur agricole prennent de plus en plus conscience de l’impérieuse nécessité d’employer des méthodes et pratiques agricoles plus responsables en adéquation parfaite avec le climat.
La coopérative des agriculteurs du territoire de Lubero, dans la province du Nord-Kivu, dans l’Est de la République Démocratique du Congo, est la pionnière et le porte-voix dans ce nouveau combat pour une agriculture respectueuse de la planète, plus performante et résiliente. Cette structure informe sur les meilleures pratiques agricoles en parfaite adéquation avec le climat à tous ses membres – petits et grands exploitants -. Jean Kambere, 57 ans, son président :
« Je suis agriculteur depuis mon tout jeune âge. Je viens d’une lignée d’agriculteurs établie dans cette région du territoire de Lubero depuis plus d’un siècle. Avant, nos ancêtres moins encore nos parents, ne faisaient recours aux pesticides ni aux intrants agricoles dans leurs exploitations agricoles pour soi-disant avoir une productivité élevée. Cette dernière était toujours satisfaisante ».
Jean Kambere, Président de la coopérative d’agriculteurs du territoire de Lubero, dans le Nord-Kivu, RDC. ©Elise Sawasawa
Nostalgique de la « belle époque » d’après lui, il se confie d’une voix amère « Notre génération a été induit en erreur par des vastes campagnes de publicités de grosses firmes de l’industrie des pesticides et des intrants agricoles, qui vantaient leurs produits phytosanitaires en nous incitant à les utiliser pour une productivité élevée ».
Aujourd’hui, ayant tourné la page à ces procédés à la fois dangereux pour la santé de l’homme et pour la terre, il a fait un retour aux pratiques plus responsables et durables pour le bien de la planète.
Jean Kambere forme à ces jours une vingtaine des jeunes agriculteurs au sein de la coopérative d’agriculteurs de son territoire, aux meilleures pratiques agricoles.
Ces initiatives sont dirigées par de jeunes agriculteurs qui développent différentes façons de réduire les gaz à effet de serre sur leurs fermes. Ces agriculteurs recherchent des moyens innovants de rendre la production alimentaire plus durable. Elle est durable dans le sens où les aliments sont produits avec moins d’émissions de gaz à effet de serre tels que CO₂, N₂O et CH₄ qui contribuent au changement climatique.
Il s’agit de méthodes très simples, comme la réduction du labourage, le mélange de cultures de couverture pour augmenter la matière organique dans le sol, ou l’augmentation du temps de pâturage des animaux pour réduire la demande en aliments importés.
Samuel Mumbere, 32 ans, ancien cadre d’une banque dans la ville de Goma, s’est remis à l’agriculture en reprenant la ferme familiale de 25 hectares où il y cultive plusieurs cultures dans le but d’augmenter la matière organique dans le sol et réduire ainsi les émissions de CO₂ dans son exploitation.
« Depuis quelques années j’utilise des matériaux naturels pour nourrir et rendre la terre de mon exploitation agricole plus riche et fertile. Il s’agit des matériaux comme le compost, le fumier, les tontes, les résidus de récoltes, etc… Ces méthodes agricoles sont sans danger ni pour les hommes ni pour la terre et concourent même à la hausse de la production de mon exploitation », concède-t-il.
Dans une autre ferme, celle de Kakule Saasita, le fumier est utilisé pour créer du biogaz afin d’alimenter les tracteurs et de produire de l’électricité tout en réduisant la pollution par le méthane des déchets animaux.
« J’ai une ferme de 12 hectares où une grande partie est réservée à l’élevage et une autre à la culture des légumes, du maïs, des fruits comme l’ananas, les mangues, les citrons, etc… Le fumier aide à la création du biogaz, alimentant ainsi mes deux tracteurs et toute l’exploitation en électricité », rapporte-t-il.
Qu’en est-il du rendement avec les nouvelles méthodes respectueuses de l’environnent ?
Les données collectées par la coopérative d’agriculteurs du territoire de Lubero auprès de plusieurs agriculteurs sont révélatrices des changements importants observés depuis l’adoption de nouvelles pratiques agricoles il y a quelques années déjà.
Madame Masika Kahindo, 62 ans, dispose d’une ferme de 10 hectares où elle y cultive du maïs, du soja et des légumes. Depuis qu’elle a arrêté avec les anciennes méthodes agricoles, elle a vu la production de son exploitation agricole augmenter de 80% avec les nouvelles pratiques agricoles à l’instar notamment du mélange et de la rotation de cultures.
« Dans le passé, je faisais recours à des produits fertilisants dans ma ferme pour augmenter la productivité de mes différentes cultures, mais avec le temps je sentais qu’il y avait quelque chose d’anormal qui se tramait » observe-t-elle. « J’ai commencé à constater de plus en plus une baisse de la productivité ajoutée à la pauvreté du sol », renchérit-elle.
Après ce bilan macabre, elle s’est tournée vers les spécialistes du secteur agricole du ministère de l’agriculture pour tenter de sauver les meubles, au regard de nombreux prêts qu’elle a contracté auprès de ses proches pour sauver son exploitation.
Madame Florence Muyisa, agronome spécialiste de la gestion de la fertilité du sol, affiliée au ministère de l’agriculture dans ce territoire, qui accompagne la coopérative d’agriculteurs dans cette région du pays, a conseillé Madame Masika Kahindo sur les nouvelles pratiques à mettre en place dans sa ferme. Grâce à ses conseils suivis à la lettre, la ferme de Madame Masika Kahindo a augmenté sa productivité de l’ordre de 80%.
L’agronome Florence Muyisa conseille aux exploitants agricoles d’intégrer la rotation des cultures dans leurs fermes :
« Un sol est fertile s’il offre toutes les conditions propices à la croissance des plantes. L’une de ces exigences est un apport nutritionnel équilibré. Si vous cultivez la même culture année après année, le sol manquera des éléments nutritifs nécessaires à ce type de culture. Étant donné que toutes les plantes n’ont pas les mêmes besoins nutritionnels, la rotation des cultures permet des apports en nutriments différents d’une année à l’autre selon la culture » renseigne-t-elle.
Et d’encourager les fermiers à incorporer les légumineuses dans leurs exploitations agricoles :
« Les légumineuses peuvent lier jusqu’à 80 % de l’azote de l’air requis (azote atmosphérique), réduisant ainsi l’élimination de l’azote du sol. […] les résidus de plantes légumineuses contiennent des quantités importantes d’azote qui, une fois décomposés, deviennent disponibles pour les cultures futures », affirme-t-elle.
Julien Vikemba
Grand reporter
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