La création d’une start-up agricole numérique est une aventure qui attire de plus en plus de jeunes. Les perspectives peuvent être séduisantes, mais la stratégie ne doit laisser aucune place à l’improvisation. Ken Lohento, coordonnateur de programme Sr, TIC4Ag au CTA, a identifié dix clés pour aider les jeunes entrepreneurs dans leur quête de succès.

En septembre 2013, le CTA a lancé son programme AgriHack Talent avec l’organisation d’un premier « hackathon ». Il a été remporté par Ensibuuko, une jeune entreprise ougandaise, qui fournit aujourd’hui des services financiers numériques à près de 200 000 agriculteurs. En 6 ans, AgriHack a bien grandi. Au total, le projet a soutenu plus de 1 500 jeunes entrepreneurs. Les meilleurs d’entre elles offrent des services (conseil, finance, connexion aux marchés, chaîne d’approvisionnement, etc.) qui touchent plus d’un million d’acteurs du secteur. Au cours de la mise en œuvre d’AgriHack, j’ai réalisé en parallèle, avec l’appui d’une amie une recherche en vue de l’obtention d’un MBA. Ces différentes activités m’ont permis d’identifier dix facteurs clés qui conditionnent la réussite des start-up lancées par de jeunes agripreneurs. Ils sont présentés et détaillés ci-dessous.

La réussite dans l’agribusiness numérique

Une entreprise peut-être qualifiée de réussite lorsqu’elle apporte satisfaction à ses fondateurs et parties prenantes – notamment ses clients – tout en générant un niveau de revenus suffisant pour garantir sa pérennité. Ce succès peut être objectivé par des indicateurs financiers (chiffre d’affaires, bénéfice, part de marché, etc.) et des critères non financiers (satisfaction client, accomplissement personnel, impact social, pérennité de l’entreprise, etc.). Cette grille de lecture s’applique également aux agro-entreprises numériques dont la réussite dépend beaucoup de la satisfaction client. Alors que ces start-up peinent à dégager des bénéficies durables, en raison de différents facteurs, certaines parviennent malgré tout à produire un impact social et même à viabiliser leurs activités (si nécessaire grâce à des subventions ou des fonds publics). Réussir s’apparente pour beaucoup d’entreprises e-agricoles, jeunes ou matures, à monter l’Everest. Il est donc important de constamment chercher les stratégies efficaces pour y parvenir.

1. Accès au financement

A l’occasion d’une étude menée auprès de 582 entrepreneurs dans six pays d’Afrique subsaharienne, 71 % des participants ont pointé le problème du manque de fonds propres à disposition des start-up. Beaucoup de jeunes entrepreneurs connaissent en outre des difficultés à capter des capitaux tiers. Ainsi, 90 % des finalistes de trois concours Pitch AgriHack ont indiqué que leur entreprise était essentiellement financée par leur épargne personnelle, les subventions et dons ou prêts de proches venant en complément. Il faut préciser que les experts, dont les spécialistes de la finance, jugent souvent les projets « non viables » et estiment que les jeunes entrepreneurs manquent de compétences en matière de gestion financière. Le CTA multiplie les initiatives pour résorber cette situation. Depuis 2017, il propose notamment une formation sur la préparation à l’investissement à tous les finalistes des concours Pitch AgriHack, en partenariat avec des entreprises de capital-risque. Dans les pays ACP, ces structures ainsi que les investisseurs providentiels sont de mieux en mieux structurés, mais on attend d’eux désormais qu’ils soutiennent les jeunes entreprises en leur mettant plus de capitaux à disposition.

2. Un environnement politique favorable

La taxation est un problème pour de nombreuses start-up. En effet, dans la plupart des pays africains, les nouvelles entreprises sont imposées de la même manière que les entreprises plus matures. Les jeunes entrepreneurs devraient pouvoir bénéficier de dispositifs favorables qui leur permettraient d’être exemptés de taxes au cours de leurs premières années d’exercice. Le régime de dispense fiscale mis en place par le gouvernement ghanéen est, à ce titre, un exemple à suivre. Par ailleurs, la mise en place de stratégies favorisant l’accès à coûts abordables aux technologies numériques, particulièrement dans les zones rurales, doit être fortement encouragée.

3. Compétences en gestion d’entreprise

Le manque de capacités en gestion d’entreprise est souvent fatal aux jeunes entrepreneurs. Des acteurs comme les incubateurs et accélérateurs proposent des solutions. Toutefois, ceux spécialisés dans les technologies numériques sont majoritairement jeunes et encore fragiles. Surtout, très peu possèdent la double expertise agribusiness et numérique, pourtant déterminante dans la réussite des projets. Enfin, pour attirer des investisseurs sérieux ou des banques, les jeunes entreprises doivent prouver qu’elles ont mis en place des processus de gestion rigoureux – tant au niveau des finances que des ressources humaines – et une gouvernance d’entreprise saine. Les organismes qui soutiennent les start-up, au-delà de l’appui strictement financier, doivent également les aider à développer ces compétences de gestion d’entreprise.

4. Des équipes engagées

Pouvoir se reposer sur des équipes engagées et impliquées est fondamental. Toutefois, les jeunes start-up manquent généralement de ces ressources vitales à l’entreprise. Parvenir à conserver les talents formés en interne est un autre défi d’envergure. Le manque de fonds ou de vision les contraignent malheureusement souvent à devoir laisser partir leurs meilleurs éléments, attirés par de meilleurs salaires ou des perspectives plus ambitieuses. A l’exception des fondateurs, peu de personnes sont prêtes à travailler gratuitement ou pour une faible rémunération. Une bonne pratique à considérer pour inverser cette tendance ? Développer une culture d’entreprise et un fort sentiment de propriété collective de l’entreprise. La startup ghanéenne Farmerline, qui met régulièrement à l’honneur ses employés sur les réseaux sociaux et ouvre des opportunités aux membres non-fondateurs, représente un bon exemple en la matière.

5. Des modèles d’affaires efficaces

Bien déterminer sa cible est primordial. En effet, s’adresser à des institutions (coopératives, chaînes de restaurants, ONG, etc.) générera vraisemblablement des revenus plus durables en comparaison à des agriculteurs individuels souvent peu enclins ou incapables de payer pour des services numériques. Ces organismes peuvent en outre servir d’intermédiaires en proposant les services des start-up directement aux exploitants. Une autre stratégie gagnante consiste à collaborer avec des clients ayant déjà une base utilisateurs élargie (bien que ce ne soit pas évident !). Au Botswana, Bradstorne Enterprises (lauréat du Pitch AgriHack 2016 et à l’initiative de mAgri), a relevé avec brio ce défi en nouant un partenariat avec Orange.

Développer des offres mêlant conjointement services numériques et traditionnels constitue une stratégie très efficace pour les entreprises qui ciblent les petits agriculteurs. La donnée est un autre enjeu émergent. Les entrepreneurs doivent apprendre à élaborer des services basés sur ces précieuses ressources, tout en prenant garde à respecter les droits des agriculteurs en matière de données personnelles. Par ailleurs, la création de valeur doit occuper une place centrale dans la réflexion. Certains services construits autour des drones, par exemple, peuvent favoriser la génération rapide de revenus réguliers. Au contraire, une offre qui se limite à la fourniture de conseil via la téléphonie mobile aura peu de chance d’engendrer un chiffre d’affaires substantiel. Il est également intéressant de considérer l’offre de services sous forme d’abonnement (selon un format hebdomadaire, mensuel ou annuel), un modèle qui a prouvé son efficacité. Toutefois, afin qu’il fonctionne, les services proposés doivent apporter une forte valeur ajoutée.

6. Partenariat avec l’écosystème

Comment pallier le manque de ressources et de réseaux ? En opérant un rapprochement avec un large éventail d’acteurs, issus à la fois du numérique et de l’agriculture. Les jeunes entrepreneurs sont largement dépendants de ces partenariats qui leur permettent de développer leurs capacités tout en leur ouvrant les portes de marchés porteurs. La viabilité des modèles agri-tech dépend en grande partie de la collaboration institutionnelle au sein de l’écosystème agribusiness numérique. Il est donc impératif pour les start-up d’apprendre à mettre en place des partenariats solides.

7. Culture numérique des utilisateurs

Le manque de culture numérique constaté, notamment chez les agriculteurs, est un obstacle majeur à l’adoption des services, provoquant dans le même temps une augmentation des coûts d’acquisition clients. Une collaboration avec des organismes spécialisés dans le soutien à l’agriculture (CTA, FAO, etc.) apporte ici une solution. Ces partenaires stratégiques peuvent en effet offrir un soutien financier pour le développement des capacités et certains services de marketing.

8. Disponibilités des ressources agricoles, numériques et commerciales essentielles

Pour réussir, les star-up ont besoin de disposer de ressources appropriées en interne (informatique, matériel agricole, etc.) et de systèmes d’exploitation efficaces. Des facteurs externes sont également à prendre en considération. Par exemple, de solides infrastructures numériques et une bonne connectivité apparaissent déterminantes pour l’adoption des services proposés par une jeune entreprise, particulièrement dans les zones rurales.

9. Des solutions numériques efficaces et innovantes

Il est aussi essentiel de concevoir des plateformes numériques de qualité, tenant compte du profil sociotechnique des utilisateurs cibles (notamment les agriculteurs) et simples d’utilisation. De nombreux jeunes entrepreneurs manquent de savoir-faire numérique avancé. Beaucoup de projets développés durant les hackathons restent au stade de prototypes en raison d’un défaut de capacités avancées dans le développement technique, logiciel. De multiples plateformes d’e-commerce ne reposent pas sur des algorithmes développés en interne et ne disposent pas de fonctionnalités qui font vraiment la différence. Dès lors, il leur est impossible de fournir quelconque avantage concurrentiel et devenir des réussites durables.

10. Une expertise agricole

Pour finir, et ce n’est pas le moins important : il est crucial que les jeunes start-up disposent d’une bonne expertise agricole au sein de leurs équipes, y compris d’une bonne connaissance de l’écosystème agricole des régions qu’elles cibles.

Plusieurs jeunes start-up sont déjà parvenues à produire des impacts tangibles. A nous de continuer à les encourager et de soutenir les autres, qui, à terme, seront de puissants leviers pour créer des emplois et développer nos économies.

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